«Une bonne part de ce que nous appelons plaisir n'est rien d'autre
qu'un effort pour détruire la conscience. Si l'on commençait par demander
: Qu'est-ce que l'homme ? Quels sont ses besoins ? Comment peut-il
le mieux s'exprimer ? on s'apercevrait que le fait de pouvoir éviter le
travail et vivre toute sa vie à la lumière électrique et au son de la musique
en boîte n'est pas une raison suffisante pour le faire. L'homme a besoin de
chaleur, de vie sociale, de loisirs, de confort et de sécurité : il a aussi
besoin de solitude, de travail créatif et du sens du merveilleux. S'il en
prenait conscience, il pourrait utiliser avec discernement les produits de la
science et de l'industrie, en leur appliquant à tous le même critère : cela
me rend-il plus humain ou moins humain ? Il comprendrait alors que le
bonheur suprême ne réside pas dans le fait de pouvoir tout à la fois et
dans un même lieu se détendre, se reposer, jouer au poker, boire et faire
l'amour. Et l'horreur instinctive que ressent tout individu sensible devant
la mécanisation progressive de la vie ne serait pas considérée comme
un simple archaïsme sentimental, mais comme une réaction pleinement
justifiée. Car l'homme ne reste humain qu'en ménageant dans sa vie une
large place à la simplicité, alors que la plupart des inventions modernes
- notamment le cinéma, la radio et l'avion - tendent à affaiblir sa
conscience, à émousser sa curiosité et, de manière générale, à le faire
régresser vers l'animalité.»