Et si la sociologie, bien comprise, n'était rien d'autre
qu'une philosophie morale et politique avec des allures
de science ? Une telle proposition, qui constitue la trame
de cet ouvrage, autorise des perplexités bien légitimes.
La sociologie n'a-t-elle pas en effet gagné ses galons
en rompant avec les spéculations abstraites des «philosophies
sociales» ? Et, à l'inverse, la philosophie morale
et politique n'a-t-elle pas pris sa revanche en s'émancipant
de ces sciences sociales qui avaient exercé sur
elle une telle emprise depuis les années 1950 ? Pour
autant, n'avons-nous d'autre choix qu'entre une
sociologie spécialisée et éclatée, vouée au culte du
«terrain», et une philosophie morale et politique désincarnée,
célébrant les vertus d'une conception purement
formelle de la justice et de la démocratie ?
Depuis quelques années, les théories contemporaines
de la reconnaissance, du care et du don, le renouveau
de l'École de Francfort et la redécouverte du pragmatisme,
en redonnant toute leur place aux sentiments
sociaux et à la relation humaine, ont fortement contribué
à redessiner les frontières et nous invitent
à une nouvelle alliance. Dans leur sillage, ce livre plaide
pour un «enveloppement réciproque» (Merleau-Ponty)
entre philosophie et sociologie, qui puisse redonner
sa vitalité à l'ambition d'une science sociale générale,
réconciliant respect des faits et souci des fins. Il vient
rappeler que la sociologie «ne mériterait pas une heure
de peine» (Durkheim) si elle ne renouait pas avec
l'orientation normative de ses pères fondateurs et
s'interdisait de contribuer au questionnement de la
société sur elle-même.