Inspirés des Vitae Patrum antiques, mais aussi des exempla
contemporains, les soixante-quatorze contes de la Vie des
Pères ont été rédigés des années 1230 jusqu'au milieu du
XIIIe siècle par plusieurs auteurs, d'inspiration cistercienne puis
dominicaine. Ils conduisent du désert d'Égypte à des monastères
européens, de l'Afrique où fut captif saint Paulin de Nole
aux guerres féodales du Nivernais, des ermitages aux châteaux,
en passant par les fermes normandes. Si elles se veulent
d'inspiration patristique, ces biographies spirituelles ne sont en
rien réductibles à des sermons. La comparaison des poèmes
avec leurs sources latines montre le minutieux travail
d'élaboration littéraire qui est le leur. Ce recueil, l'un des chefs-d'oeuvre
du XIIIe siècle, est d'une importance capitale pour
l'étude des contes, de leur circulation et de leurs variations,
pour celle de la spiritualité. Par sa porosité à la littérature profane
du temps, celle des romans et fabliaux, genres dont il prétend
se démarquer, il aide à mieux cerner l'origine et les
contours des lettres médiévales. Multiples et complexes comme
la vie même, ces contes ont pour héroïne la grâce, qui se donne
indistinctement aux plus grands pécheurs, homicides, apostats
ou mères infanticides, héros paradoxaux de récits surprenants,
qui bouleversent codes et conventions. Séduisant parce qu'il
n'a pour persuader que sa propre séduction, le conte religieux
de la Vie des Pères, foncièrement performatif, aspire à convertir
dans le présent même de la narration. Il relie l'épaisseur du
temps historique, celui de sa matière, à l'éternité du temps
divin, celui de sa vocation.