Jean Pradelle parvient à l’âge d’homme. Il exerce le métier de médecin, il est marié, bref il s’est tenu à un certain nombre de choix qu’il semble difficile de remettre en question. Il commet une imprudence : L’examen de sa vie sous l’angle du possible pur. Aussitôt la conscience voit se lever, comme des chauves-souris de caverne effrayées par la torche, un monde de projets inaccomplis. Que de dons restés latents, de désirs étouffés dans leur fleur ! Il désespère. Il n’est pas celui qu’il aurait pu être, qu’il se devait d’être. Il n’a eu ni la lucidité ni le courage nécessaire pour briser les obstacles à la vocation qu’il se découvre rétrospectivement, prisonnier de son caractère et du milieu qui en a modelé les traits essentiels. Le passé est donc à renier. Mariage, métier, autant d’impasses qui masquent l’ouverture par où cette volée grisante de désirs pourrait enfin prendre essor. Il n’a jamais été libre. Il est temps de le devenir. Attention ! Les circonstances de cette crise ne sont-elles pas suspectes ? Médecin novice dans un village en déclin sous l’effet d’une géographie âpre, il vient de soigner un jeune homme affecté d’une blessure insolite. Il s’agit peut-être d’une tentative de crime camouflée en accident. Le mal s’aggravait. Il perdait confiance dans son diagnostic, en lui-même... Il a bâti un destin imaginaire à son malade, à l’aide d’indices ambigus, fasciné par le passage dans sa vie d’une femme étrangère à la province qui semble lui avoir tenu lieu tantôt de mère, tantôt d’amante. Sans en prendre d’abord conscience, à force d’errer de supposition en supposition, entraîné par certaines analogies entre ces figures et les fantômes de sa propre mémoire, il s’est peu à peu identifié à elles, il a joué tous les rôles d’un opéra délirant. Ses suggestions peuvent être mensongères. La liberté n’est pas ce commencement absolu dont nous gardons la nostalgie mais le fruit d’un accord difficile entre la pesée d’un certain type d’enfance et l’exigence, si modeste soit-elle, d’une vie créatrice. Quelque chose a chance d’exister par moi dans le monde, qui n’aurait jamais vu le jour sans le conflit dans lequel je me débats : Pour le héros, ce récit incantatoire qui lui a permis de se pencher sur les images archaïques de sa destinée et, par le jeu même des identifications, d’échapper à leur charme, de trouver une voie de salut dans ces liens qu’il maudissait.

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