Nietzsche et le problème des valeurs
Les falsifications idéologiques qui voient dans la puissance le seul déchaînement de la nature, des pulsions et des forces de domination, mobilisent la volonté et les instincts les plus agressifs pour les mettre au service de leur idéal de maîtrise. Vouloir la domination, telle est bien l'interprétation de la puissance que se font les impuissants. Cette interprétation a pour elle la force de l'évidence car c'est toujours la maîtrise, comme fonctionnement institué de la puissance, que nous percevons d'un oeil grossier. Les lectures réactives de Nietzsche se trouvent ainsi piégées lorsqu'elles mettent en avant certaines « valeurs nietzschéennes ». Elles ne font que révéler l'idéal de maîtrise qui anime leurs interprétations de la volonté de puissance. Elles oublient de se voir fonctionner en Nietzsche.
Inutile pour cette raison de chercher la Grande Politique de Nietzsche dans un programme ou une institution. L'institution des valeurs se fait toujours au détriment de la puissance active d'évaluation individuelle. Alors que les lectures réactives de Nietzsche réduisent l'expression de cette puissance d'évaluation à un non-lieu, les lectures actives de Nietzsche en font une force de libération. De cette force, recouverte ou occultée par les plus grands interprètes de Nietzsche, dépend l'actualité critique d'une pensée pour tous, une pensée dont personne ne peut se prévaloir d'en être le seul maître.