À son retour d’un voyage documenté de deux mois et demi en Asie, Philippe Gloaguen, qui était encore un jeune étudiant en commerce rêvant de devenir journaliste,
soumet en 1972 son article « La Route des Indes » au magazine Actuel, dont le rédacteur en chef, Jean-François Bizot, qui le surnommait « le routard » lui souffle l’idée
d’un guide de voyage. Ce fut le déclic. En effet, son carnet de route débouche sur le premier Guide du Routard. D’abord refusé par dixneuf éditeurs, le guide paraît enfin
en 1973 via la - petite, mais visionnaire - maison d’édition Gedalge. L’ouvrage se démarquait déjà des autres qui étaient plus élitistes. Ce qui différait des guides de l’époque était cette perspective de voyage économe utilisant l’auto-stop comme moyen de déplacement et ayant recours à des logements à peu de frais. Le but était de partager des bons plans dans un livre de voyage d’un nouveau genre, afin d’offrir des expériences accessibles à tous et de se rapprocher des lecteurs en répondant aux besoins de la société. Malheureusement, deux ans plus tard, la maison d’édition finit par mettre la clé sous la porte suite au décès tragique de l’éditeur. Par la suite, le cofondateur du Routard se rend à un colloque d’éditeurs de guides touristiques pour exprimer son mécontentement face aux nombreux refus qu’il a essuyés. Gérald Gassiot-Talabot, le patron des Guides Bleus chez Hachette, se montre intéressé en rétorquant qu’il ne se sentait pas concerné par son discours étant donné que le Routard ne s’était jamais présenté à lui. Ainsi débute l’alliance de toute une vie ! En 1975, à l’ère où le voyage se démocratise, Hachette publie Le Guide du Routard qui se fait une place sur le marché en embrassant une vision plus humaniste du voyage, focalisé sur le respect et les rencontres pour un minimum de dépenses.
Le logo emblématique de la marque, qui est reconnaissable entre mille, a été initié par le dessinateur Jean Solé, un ami de Philippe Gloaguen, dont il s’est inspiré pour incarner le personnage du globe-trotteur en sac à dos. Un symbole de liberté, d’indépendance et d’émancipation du voyage qui, après nous avoir conquis, n’a cessé de nous séduire. En 2001, les couvertures subissent un rafraîchissement en paraissant avec une photo de la destination en question, en plus du mythique insigne.
En 1990, les chiffres parlent déjà d’eux-mêmes : les ventes sont estimées à plus d’un million par an. Tandis que ce développement éditorial se transforme en phénomène de société, les destinations se multiplient et l’équipe s’agrandit. Cette dernière n’hésite pas à s’engager contre le racisme, pour l’écologie et la lutte contre le SIDA, en intégrant des textes soutenant des causes et des combats dont elle se sent proche. Entre autres, Amnesty International, Greenpeace, Médecins du Monde,…
En 1994, la collection célèbre ses vingt ans en gagnant sa première place de guide touristique en France, en Belgique et en Suisse avec plus de cinquante-quatre
titres. De fil en aiguille, Le Routard devient une marque déposée à laquelle on s’intéresse beaucoup et qui voit naître des produits dérivés. Mais le nouveau millénaire est surtout marqué par une révolution technologique dont le Routard tire profit en mettant sur pied un portail de voyages sur internet qui recense six millions de visiteurs par mois à ce jour. Devenu une institution humaniste, le Routard entreprend, en 2003, des actions et des engagements sociaux et écologiques en ouvrant,
entre autres, une école pour les enfants des rues au Cambodge et en dévoilant, l’année suivante, la première édition des « Trophées du Routard », qui encourage des projets de solidarité en récompensant des actions humanitaires. Dans un esprit d’amélioration de la société, le « Tourisme durable », un ouvrage didactique proposant des ressources diverses et variées pour un tourisme plus responsable, paraît en 2008. Et pour continuer le combat de la protection de l’environnement, tous les guides, depuis 2019, sont munis d’une rubrique « Pas de côté » comportant des conseils pour voyager plus vert.
Le Routard a toujours prôné la liberté, l’indépendance, la découverte, les valeurs humaines et l’écologie. La collection a su se développer à travers les générations
et les tendances sans pour autant perdre son identité. L’équipe de 120 collaborateurs, qui édite 2,5 millions d’exemplaires chaque année y a toujours veillé. 150 titres plus tard, elle a su innover en offrant différents supports et projets tout en restant fidèle à ses valeurs. Des valeurs qui ont donné naissance aux guides de voyages, à des beaux livres, aux guides de conversation, ainsi qu’à un magazine publié quatre fois par an.
Le Routard n’est jamais à court d’idées. Entre les guides de camping, les guides du terroir, le Routard à vélo et les éditions spéciales, la collection n’a pas fini de nous
surprendre. En 2005, les guides de conversation se sont doucement fait une place. Deux ans plus tard, le Routard propose d’enrichir le catalogue avec « G’palémo », qui permet de se faire comprendre lorsque nos connaissances de la langue du pays que l’on visite sont inexistantes. Parmi les beaux livres, le Routard offre une palette de destinations à vous faire rêver. Des plus beaux coups de coeurs aux voyages les plus insolites, les plus marquants ont été composés pour célébrer des étapes importantes. Pour ses 30 ans, en 2003, un collector regroupant 30 destinations coups de coeur a été publié. En 2013, l’album des 40 ans, qui réunit 1200 coups
de coeur, a eu un tel succès qu’une édition centrée sur la France a suivi. Dans la même lignée, « 52 weekends en Europe » a vu le jour en 2016. Et l’année suivante, le Routard a publié sa bible « Voyages », une magnifique encyclopédie du voyageur. Le dernier en date, intitulé « Les 50 voyages à faire dans sa vie », a été élaboré en lien avec les destinations les plus consultées du site web. Afin de compléter sa collection pleine de variétés, le Routard s’est lancé, en 2021, dans une publication d’un magazine trimestriel consacré au voyage, dans lequel toute l’équipe rédactionnelle partage ses coups de coeur. Un rendez-vous qui permet de faire découvrir aux
lecteurs des endroits incroyables à travers des reportages, des rencontres et des anecdotes.
Les deux années de pandémie que nous avons vécues ont durement affecté beaucoup de secteurs. Notamment celui du voyage qui n’a pas pu reprendre de goulée d’oxygène entre le covid et la crise du papier, qui a impacté le milieu de l’édition. Alors que les prix grimpent, le Routard a tenu à rester raisonnable. En trois ans, le prix s’est vu accroître d’un euro en moyenne seulement. Forcément, après ces quelques années qui ont mis le monde sur pause et qui ont vu les prix augmenter de
manière générale, il y a eu pas mal de changement au niveau des gens et de leur rapport au voyage. D’une part, nous avons une cadence aérienne plus prudente et donc moins présente, qui engendre une augmentation parfois colossale des prix proposés. D’autre part, suite à cette coupure d’évasion, les voyageurs sont bien plus nombreux. Selon Philippe Gloaguen, le tout est de viser des destinations ayant un niveau de vie moins élevé. Afin de compenser l’augmentation des prix
des billets, il est plus judicieux de s’orienter vers des pays comme la Turquie, l’Espagne, le Maroc, la Tunisie ou encore la Grèce, où le coût de la vie est beaucoup plus abordable. Ce sont des endroits magnifiques et beaucoup moins chers. En effet, la livre turque a perdu 80 % de sa valeur, la principauté des Asturies et la région de la Galice en Espagne du Nord sont des coins magnifiques et authentiques qui ne voient pas beaucoup de touristes et la Grèce qui a connu une crise quinze ans auparavant, se relève tout doucement, tout en ayant encore un niveau de vie moins conséquent qu’en Belgique. Néanmoins, une chose n’a pas changé. Il s’agit de la fréquence des déplacements de Philippe Gloaguen. Toujours accompagné, celui-ci voyage plus ou moins neuf jours toutes les cinq semaines.
Chaque voyage lui a laissé de bons souvenirs. Même les mésaventures en sont devenues. Le secret d’un beau voyage, c’est de partir avec la personne que l’on aime. Peu importe la destination, être bien entouré est la clé.
Soufflant sa 73e bougie, le cocréateur du guide est confiant pour l’avenir. Le Routard sera entre de bonnes mains, quoi qu’il arrive ! En effet, Gavin’s Clemente Ruiz, son
secrétaire général actuel, qui a débuté en tant que stagiaire en 1999, promet d’être un successeur accompli. Le pionnier de cette collection et l’auteur de multiples romans partagent la même vision d’évolution et l’amour du voyage. D’ici là, de nombreux projets sont en cours de préparation. Avant de quitter l’équipe du Routard, Philippe Gloaguen aimerait fouler le sol du site historique Al-‘Ula. En plein coeur du désert du nordouest de l’Arabie Saoudite, ce site est le premier du royaume classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Cette destination qui était autrefois habitée par des nomades, est un héritage d’une civilisation vieille de 7000 ans regorgeant d’anciennes tombes, de formations rocheuses et de canyons naturels spectaculaires. De surcroît, les scénaristes des Tuches, qui sont des lecteurs et des passionnés du Routard, ont prévu de produire un film en lien avec le Routard via StudioCanal. Pour cela, ils ont démarché Philippe Gloaguen, pour lui faire part de cette comédie pleine d’aventures mettant en scène un jeune rédacteur du Routard qui est envoyé au Maroc et qui se retrouve en quête de voleurs d’un parchemin sacré, tout en tombant amoureux de la jeune guide marocaine qui lui prête main-forte. Le projet serait en cours de production et sortirait en salle en 2024. Il se pourrait que Philippe Gloaguen y fasse une brève apparition et que les locaux de la collection fassent de même…