Signe ou trait de caractère particulier : Je suis bavard et je donne beaucoup de ma personne.
Votre livre de chevet : Le dernier Frédéric du Bus, le dernier Nicolas Vadot, « Napoléon : l’ombre de la Révolution » de Bart Van Loo et « La Belgique de demain » d’Olivier Mouton et Bruno Colmant.
Le livre que vous voudriez recevoir en cadeau : Le nouveau Gaston.
Le livre qui vous a le plus touché : L’intemporel « Les Racines du ciel » de Romain Gary.
Nous avons le plaisir de retrouver vos caricatures dans le journal Le Soir quotidiennement et dans le Ciné Télé Revue hebdomadairement. Un exercice exigeant qui vous demande de travailler sur le fil et d’être au courant de l’actualité en permanence. Comment est-ce que vous arrivez à être à jour au niveau de l’actualité et à rester informé ?
Il faut dire que, comme tout ce qui relève du professionnel, à un moment il y a un entraînement qui rend la chose un peu moins difficile que l’on pourrait le croire. On me demande parfois si je lis le journal tous les jours. Je réponds que si j’étais dentiste, je crois que je lirais le journal tous les jours aussi, car l’actualité m’intéresse. Quand on en fait un métier, il ne faut pas tout lire. Dans un journal, je parcours moins de choses que vous, parce que tout est à peu près un feuilleton. Je prends les éléments nouveaux, sans avoir besoin de me replonger entièrement dedans. Je comprends vite. Et pas parce que je suis très intelligent – ce qui est possible aussi, mais parce que je suis entraîné. C’est moins lourd qu’il n’y paraît, car je suis baigné dedans. Par exemple, j’écoute la radio et je ne regarde presque pas les JT. Cela peut paraître étonnant, mais quand le journal arrive entre 19 heures et 20 heures, presque tout a été dit pendant la journée. Donc quand vous êtes tout le temps dedans, c’est effectivement prenant, mais ce n’est pas comme un effort constant. C’est plutôt un bruit permanent. Et quant à l’idée d’avoir un dessin à faire tous les jours, ça peut être une corvée, un boulet, car je ne dois jamais l’oublier. J’ai dessiné sur des parkings d’autoroute, dans des restaurants et partout où c’était possible parce que j’ai ce dessin à faire tous les jours avant 20 heures, 21 heures au plus tard, mais je remarque que la qualité du défaut est la satisfaction du travail qui est fait, même s’il n’est pas toujours bon.
Pouvez-vous choisir librement vos sujets ?
À peu près. J’ai une discussion tous les jours avec la rédaction du journal qui me dit en somme ce qu’il y aura dans le journal à paraître. C’est rarement des scoops, même s’il y en a, mais souvent il s’agit de la suite des choses que j’ai entendues dans la journée. Donc parfois, dans ces conversations je dis « J’ai une idée pour demain ! Est-ce que vous parlez bien de ceci ? Parce que je voudrais faire un truc sur ce sujet que j’ai entendu ». Très souvent j’amène moi-même le sujet et on me dit oui. Et parfois le journal me dit « Il faudrait que tu dessines sur ça ou ça, parce que c’est un gros sujet dont on parle ». Voilà pourquoi je dis à peu près, car on ne m’impose pas de sujet, jamais.
Une sélection de vos caricatures est exposée à côté d’autres grands noms lors de l’exposition "Enjeux humains", qui rassemble des dessins de presse belges et internationaux avec pour objectif d’interroger l’état des droits humains ici et ailleurs. Alors que nous vivons régulièrement des réactions directement liées à la liberté d’expression, les caricatures suscitent la controverse.
Quel est, selon vous, le rôle de la caricature dans le contexte sociopolitique actuel ?
Même quand elle est parfaite pour être provocante, la caricature a quelque chose d’interpellant, parce que le message est assez immédiat : il y a une image qui dit parfois des choses très simples et parfois des choses complexes. Souvent sans nuances (je m’en plains un peu, car c’est parfois frustrant de ne pas pouvoir apporter des nuances) et cela fait donc réagir.
Et avec « Enjeux humains », nous rappelons que quantité de droits de l’Homme ne sont pas respectés dans quantité de pays dans le monde. Et ça, par des dessins, c’est une exposition assez pédagogique qui est faite un peu pour les écoles, pour les jeunes qui ne se posent pas les questions de la même manière que leurs aînés sur les droits humains.
Pour faire le lien, j’ai une exposition personnelle dans laquelle je parle du métier et dont les dessins ont été choisis par un graphiste. Elle se situe à Spa et s’appelle « Pierre Kroll lance des bouteilles à la mer ». Si on a choisi cette métaphore, c’est parce que quand je fais une dessin, j’envoie un message, mais je ne sais finalement pas à qui, ce que les gens vont en penser, ni quand il sera lu.
Comment gérez-vous les réactions négatives ? Avez-vous déjà eu peur après la parution de dessins et dans quelles circonstances ?
La peur de ne pas être compris est permanente – mais pas très grave – et elle intervient dans l’inspiration d’un dessin. On se demande si tout le monde va comprendre l’intention. Essayer de comprendre ce que le dessinateur a voulu vous dire, c’est ça la clé de la lecture d’un dessin. Si c’est compliqué, c’est que le dessinateur est mauvais ou que le lecteur n’est pas assez informé sur l’actualité.
La peur d’avoir des ennuis m’est déjà un peu arrivée dans les pires moments que nous avons connus, mais généralement je sais très bien pratiquer le « Il faut faire comme si ça n’existait pas », sinon on n’en sort pas et on va être tout le temps amené à se demander si on peut faire ceci et qui on risque de choquer si on fait cela. Il ne faut pas tout le temps s’en tracasser. Je vis très bien comme ça.
Le 26 octobre dernier paraissait votre bande dessinée annuelle « Le vrai du fou ». Opus qui, comme chaque année, retrace l’actualité de l’année écoulée. Comment s’est passée cette année, comment l’avez-vous vécue ? Quels ont été les éléments marquants de 2023 ?
Malheureusement, les événements marquants, vous les connaissez. L’année dernière, nous nous sommes retrouvés avec une guerre pas loin de chez nous : l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Ce ne sont accessoirement pas des sujets faciles à traiter en dessin. Et cette année, elle se termine avec le conflit israélo-palestinien, que je n’ai pas pu traiter dans mon livre, puisqu’il faut terminer ces livres en septembre pour qu’ils soient imprimés et mis en vente en fin d’année. Heureusement, il s’est passé des choses amusantes et drôles à regarder et à dessiner. Le couronnement de Charles III en Angleterre, par exemple. L’actualité est un mélange d’horreurs et de choses amusantes. Et le métier est de dessiner les deux.
Le livre fait aussi une forte référence à tout ce qui touche à l’intelligence artificielle. Ce n’est pas une actualité en elle-même, mais le sujet est venu à plusieurs moments dans l’année. On en parle beaucoup, on en parlera encore beaucoup à l’avenir et c’est pour cela que c’est le sujet que j’ai mis le plus en évidence en couverture et qui tient un peu lieu de fil rouge dans mon livre.
Pourriez-vous nous dire quelle est votre planche préférée ? Et pourquoi ?
Question piège ! J’hésite entre plusieurs planches, mais au niveau du dessinateur que je suis, ma préférée est sans doute le pastiche d’une couverture connue d’un disque des Beatles où ils traversent sur un passage piéton. On y retrouve deux membres qui sont en vie et les deux autres qu’on fait revivre par l’intelligence artificielle ou des republications.
Cette année encore, vous revenez sur les planches avec votre spectacle « Kroll sur son 31 ». L’opportunité de vous rencontrer autrement. Comment ce projet est-il né ? Que vouliez-vous partager avec le public ?
Au départ, je n’avais jamais eu l’intention de faire de la scène. Mais après les attentats de Charlie Hebdo, j’avais beaucoup de demandes d’interview pour parler du métier. Suite à cela, j’ai appelé mon ami Bruno Coppens, qui m’avait déjà incité à faire de la scène, pour parler d’un spectacle qui répondrait à toutes les questions qu’on me pose tout le temps, mais de façon intéressante. J’ai joué avec une affiche intitulée « Kroll, 10 villes, 10 dates », croyant jouer dix fois et que j’aurais intéressé tous ceux que ça intéresse. À ce jour, j’ai joué ce spectacle 85 fois dans des salle remplies. C’est un succès qui m’a dépassé.
Après 85 fois, nous sommes venus avec autre chose. On a eu l’idée de faire comme les livres dans lesquels on revient sur l’année avec des dessins. À la différence que sur scène, je peux ajouter ce que je n’ai pas mis dans le dessin, je peux parler d’un dessin que je n’ai pas fait et parler des réactions qu’un dessin a provoquées.
À l’instar de la bande dessinée annuelle ou des agendas, allons-nous vous retrouver chaque année sur scène ?
Suspense ! Je ne sais pas. Peut-être avec autre chose sur la scène qu’avec les revues de fin d’année, mais si vous applaudissez beaucoup, je continuerai l’année prochaine !
Pour clore cet entretien, pouvez-vous partager un projet, une caricature récente ou une anecdote qui vous a particulièrement marqué ou dont vous êtes fier ?
Je peux déjà vous partager mon stress et mon inquiétude concernant la façon dont je vais commencer mon album de l’année prochaine. Il y en aura certainement un et il commencera sans doute sur la guerre Israël/Hamas, dont je ne sais pas comment elle tournera. C’est un sujet marquant qui me désespère déjà et je ne sais pas encore comment je vais pouvoir dessiner.