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«Je ne peux écrire qu'à toi, comme si je m'accrochais de la main gauche à une
épave et que j'écrivais de la main droite.» Un naufragé de la vie ou de la poésie
- ce qui pour lui revient au même - dont la mère confidente serait la seule planche
de salut, telle est l'image qu'on serait tenté d'emporter de la lecture des 560
lettres, cartes postales ou billets qui jalonnent vingt années de la vie de Jean
Cocteau. Car, si elles sont les plus fécondes, elles ne sont pas les plus sereines.
L'une apporte même son coup de tonnerre avec la mort de Raymond Radiguet.
Loin de le consoler, le recours à l'opium l'asservira jusqu'à la fin de ses jours, sans
que le retour à la religion - second remède - ne bouleverse durablement sa vie.
C'est dire que le temps des frivolités parisiennes est révolu, mais l'avant-garde
à laquelle il les a sacrifiées tarde à le reconnaître pour son pilote. En dépit
d'une inlassable activité sur le front de la modernité, Cocteau n'arrive pas à
s'imposer, du moins devant ceux qui comptent à ses yeux. Dada le ridiculise et les
surréalistes le couvrent d'injures. De Picabia, de Cendrars, voire de Reverdy, il
essuie des affronts et le dieu Picasso le renie publiquement sur ses terres
espagnoles.
S'il signe encore une lettre : «Duc d'Anjou et prince de Paris», ce prince
déserte régulièrement sa principauté. «J'étais né pour la campagne, la province,
constate-t-il en 1927. Je me suis engagé dans la bataille par erreur.» La fuite vers
le Sud devient vite règle, hygiène de vie, encore que, pour un créateur, la capitale
soit un point de passage obligé : les éditeurs, les théâtres, les lieux et les agents
de la consécration sont presque tous là. Un aveu exprime ce noeud de
contradictions : «Je suis triste et heureux de rentrer dans cette ville que je n'aime
pas et sans laquelle il me serait impossible de vivre.» Heureux surtout parce que
sa mère, qu'il s'accuse d'abandonner, y vit et qu'elle l'y attend. Félicitons Cocteau
d'avoir pris l'habitude de ces mois d'exil : une riche et précieuse correspondance
en est le fruit. Faute d'entraîner ou de suivre, comme jadis, sa mère sur les rives
de ses longues mais fausses vacances, le fils prodigue lui en tient le journal
illustré avec plus ou moins d'assiduité.
J. T.