La guerre se termine. Roger Martin du Gard quitte Figeac
pour regagner Nice, peu désireux de revenir à Paris et de
regagner le Tertre ; il attend que les passions s'apaisent. Il
s'y décide enfin. Attentif aux mouvements de pensée et au
renouveau qui s'annonce, inquiet de voir l'état révolutionnaire
de la France, il résiste aux pressions, redoute les conflits qui se
préparent et refuse de «se jeter dans la mêlée».
Il prend vite conscience qu'il est désormais un homme du
passé. Il «reste d'un temps sceptique, et se défiant de toutes les
certitudes». Il refuse l'«esprit partisan» et rejette la «littérature
engagée» que prône désormais Sartre. Malgré les difficultés,
il veut garder sa liberté et rester fidèle à soi-même. Lucide,
il est l'homme d'entre les deux guerres, «"spectateur passif",
mais spectateur». «Dépassé par l'Histoire, je me survis»,
reconnaît-il. «Entre un présent hostile et dénudé, et le passé qui
m'offrait son refuge, j'ai lâchement opté pour le passé, et
accepté d'être un "anachronisme".»
Il accepte ses limites. Sachant qu'il ne peut parler à la
génération nouvelle, il reprend son travail et réfléchit à l'oeuvre
posthume commencée durant la guerre. Il est soucieux
d'«achever harmonieusement sa courbe».
En novembre 1949, il perd brutalement sa femme. Une page
se tourne. Malgré le travail qui le délivre de sa souffrance, en
1950 il se sent peu à peu démoralisé ; aux ennuis de santé s'ajoutent
les nouvelles du monde : Roger Martin du Gard est persuadé
de l'imminence d'une conflagration. Le ton de ses lettres
se colore parfois de cette angoisse de l'avenir.