Je ne me suis rendu compte de son existence
que lorsque je l'ai vu, un midi, au milieu du
carrefour près de l'usine, alors que je m'apprêtais
à aller bosser.
Il était au centre du trafic, frôlé de près par des
camions plus ou moins gros, plus ou moins
rapides, en train de s'escrimer à soulever une
plaque de taule et à la replacer dans un Caddie
duquel elle était tombée.
Je ne sais pas pourquoi, je ne l'avais jamais vu
auparavant. Peut-être a-t-il toujours fait partie des
fantômes que nous croisons sans voir lorsque nous
quittons rapidement l'usine et traversons ce qui
s'appelle le Vieux Bourg.
Depuis, c'est comme si je ne voyais plus que
lui. Sans doute parce que sa pauvreté et les galères
qu'il doit supporter accentuent ma culpabilité à ne
rien faire pour lui. Mais aussi parce que sa
présence me montre du doigt ce Vieux Bourg qui
jouxte l'usine et que je ne voyais plus. Je n'y
prêtais plus attention, parce qu'il faisait partie du
quotidien et de l'usine même.
Pourtant, le Vieux Bourg est là, et encore là.