En 1678, Armand-Jean Bouthillier (1626-1700), abbé de Rancé, réformateur de l’abbaye de la Trappe, publie ses Relations, six récits d’agonies exemplaires de religieux venus suivre, sous sa direction, une règle très stricte. L’ouvrage connaît un grand retentissement. Cet accueil renforce dans l’Europe catholique l’autorité spirituelle de la Trappe, haut lieu de l’austérité radicale. Au gré des rééditions, le nombre de morts exemplaires s’accroît ; et cela jusqu’à la dernière publication du vivant de Rancé, en 1696. Frappé par cette suite de portraits de « pieux suicidés », Chateaubriand s’en inspire lorsqu’il écrit sa célèbre Vie de Rancé (1844).
Les textes du Père Abbé ne sont pas qu’une enquête sur les dernières heures de ses frères. Il jauge et juge l’heure ultime. Il élabore un rituel de ce « grand spectacle ». Mais il évoque également l’itinéraire de ses moines. Bien souvent, ceux-ci furent des hommes de chair et de passions avant d’entrer dans les ordres. Jeunes, pour la plupart, ces aventuriers de la mort entendent l’« engloutir » et la vaincre par une conduite désormais exemplaire. Ces récits de morts sont aussi des portraits de vivants dans « l’éternité de Dieu ».
L’écriture, encore marquée par le baroque, est à la fois réaliste et sévère. Rancé se hausse ici à l’excellence des moralistes de son temps : La Rochefoucauld, La Bruyère, Bossuet... Au point que l’on peut voir dans ces textes l’écho spirituel de sa propre entreprise de renoncement – inflexible.