Sait-on seulement ce qu'est l'exploitation ? La réponse n'a rien de trivial. Pour certains, l'exploitation est une chimère ; pour d'autres, elle relève de l'évidence. Même si le terme est encore utilisé pour dénoncer des situations d'injustice et de domination, il a presque disparu des débats politiques, sociologiques et philosophiques. Aux premières heures du mouvement ouvrier, l'exigence d'abolir l'exploitation constituait pourtant l'un des traits singuliers du socialisme avant d'être reformulée et élargie par des féministes.
L'exploitation reste une expérience commune ; son concept peut, doit redevenir un outil puissant d'analyse et de combat. Peut-on s'en priver pour saisir le lien puissant entre la détérioration des conditions de travail et l'explosion des inégalités salariales qui caractérisent notre époque ? Pour penser ensemble travail domestique et travail salarié, dominations de classe, de race et de genre ? Allons plus loin : sans lui, il n'y a pas de gauche qui tienne, pas de rencontre solide entre des traditions émancipatrices différentes. Mais pour saisir la dimension décisive d'une nouvelle critique de l'exploitation, encore faut-il en explorer les significations accumulées au fil des deux derniers siècles, redéfinir ses contours à cette lumière, les ajuster à la situation du capitalisme contemporain. Exploiter, ce n'est pas seulement dominer ou assujettir. Précisée et dépliée, la notion retrouve netteté, vigueur et, espérons-le, centralité.