Lorsqu'au printemps 2006, René Girard et Benoît Chantre décidèrent d écrire un livre sur Carl von Clausewitz (1780-1831), la perspective d'une catastrophe nucléaire s'était éloignée des esprits. La guerre froide semblait révolue. Quant à la « vieille Europe », elle feignait de penser qu'elle avait exorcisé ses conflits séculaires. Délibérément apocalyptiques, ces entretiens sur l'échec du christianisme historique et le crépuscule de l'Occident s'achevaient sur un plaidoyer pour la relation franco-allemande et les figures qui l'incarnèrent.
Quinze ans après sa parution, ce livre continue de susciter un immense intérêt, tant dans les cercles militaires et stratégiques qu'auprès des littéraires, des philosophes ou des anthropologues. En 2007, c'étaient les actes suicidaires du djihad que Girard et Chantre interrogeaient en relisant De la guerre. L'invasion de l'Ukraine par les troupes russes, en 2022, tout en s'inscrivant dans la brèche ouverte par le 11 Septembre, laisse présager un conflit d'une ampleur inédite depuis 1945. Nous voici entrés dans une nouvelle ère de la violence où se profile, avec une part d'imprévisibilité beaucoup plus grande que dans les années 1960 et 1970, la possibilité d'une « guerre absolue », plus encore que d'une « guerre totale ». Ces entretiens riches et denses n'ont donc malheureusement pas pris une ride.