Élève d'Alban Berg, ardent défenseur de la seconde École de Vienne, T. W. Adorno exécrait le jazz. Cette "mode intemporelle" qu'il qualifiait aussi d'"archaïsme moderne" n'était, selon lui, qu'un pur produit de l'industrie culturelle, une expression faussement libératrice de la communauté noire américaine et une régression primitive au stade sadomasochiste. Toutefois, curieusement, le philosophe, pourtant peu enclin à s'attarder sur ce qu'il abhorrait, ne cesse, presque sa vie durant, de multiplier les commentaires visant à discréditer une musique à laquelle il attribue néanmoins, de façon contradictoire, une "immortalité paradoxale".
Cette attitude quasi-obsessionnelle a-t-elle pour origine un simple malentendu? S'agit-il d'une relation ambivalente de type fascination-répulsion?
Ces questions, Christian Béthune ne les élude pas totalement mais il ne se fie guère aux explications sociologiques, psychologiques voire psychanalytiques.
Il préfère chercher les raisons de cette étrange aversion dans les fondements de l'esthétique adornienne. Peu décontenancé par les subtilités dialectiques du penseur de l'École de Francfort, il scrute les textes avec minutie, analyse, non sans humour, des prises de positions en apparence inconciliables, et mène magistralement l'enquête qui le conduit "au coeur même" de sa philosophie.
Au-delà d'une étude sur les rapports conflictuels et finalement ambigus que T. W. Adorno a toujours voulu entretenir avec l'une des plus grandes formes d'expression musicale née au XXe siècle, cet ouvrage peut déjà servir d'introduction à une esthétique du jazz.
Marc Jimenez