Parler de généalogie, c'est toujours questionner cette notion du devenir qui lie de l'intérieur le corps propre et l'histoire, individuelle ou collective. Cette étude tente de comprendre comment Antonin Artaud a questionné l'identité du corps en fonction d'un ordre généalogique. Il s'agit non seulement de son propre corps, mais aussi d'une certaine conception traditionnelle du corps, politique, juridique, médicale : le corps anatomique ou organique. Pour Artaud, un corps propre, quel qu'il soit, est toujours un corps approprié ou assujetti à l'ordre dominant d'une généalogie, d'une filiation linéaire ou d'une tradition, non seulement d'un père et d'une mère, mais aussi d'une sexualité figée, d'une langue dite naturelle, d'une date et d'un lieu de naissance, autant de normes qui l'aliènent et le soumettent aux nécessités reproductives d'un corps social, criminel et cannibale. Toute altérité, toute extériorité et toute collectivité représentent, pour Artaud, une forme d'aliénation, d'emprisonnement de ce corps en devenir, en mutation, de ce corps fait d'autres corps, que je nommerai corps hybride.
L'oeuvre d'Artaud, des premiers textes surréalistes aux derniers carnets de Rodez, non seulement questionne l'identité culturelle de notre corps occidental, aliéné, interné, soumis à l'autorité du pouvoir, mais surtout engage l'immense travail d'une « réfection du corps », pour délivrer ce qu'il appelle un « corps sans organe ». Ce travail, cet engagement, soulève des enjeux tout aussi bien politiques - une autre idée du corps collectif - que littéraires - une autre idée de la langue toujours liée aux impératifs de la communication et du sens. Mais c'est aussi la question de l'autobiographie qui se pose ici. Comment parler de soi, de sa vie, comment développer une « écriture de soi », dès lors que vole en éclats cette idée organique du corps sur laquelle se fondent tous les idéaux identitaires de notre société ?