Recherches d'esthétique transculturelle
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L'anthropologie contemporaine du langage a bouleversé les repères de l'esthétique : en retraçant la dynamique du dialogue à la base de toute expérience, elle a montré que l'avorton chronique qu'est l'être humain a dû, pour pouvoir vivre, se fixer au langage en faisant parler le monde et retrouver ainsi le bonheur pris à l'écoute de la voix de la mère dans l'écoute intra-utérine. Cet usage du langage, appelé « prosopopée » par Humboldt, se transfère ensuite en toute perception sensible : il anime
l'aisthesis elle-même, mais aussi l'esthétique de l'art ainsi que celle de la culture.
En reconnaissant aujourd'hui la nature dialogique de la vie mentale de l'être humain, de son imagination et de sa créativité artistique, l'anthropologie de l'art et de la culture libère l'esthétique de l'art des limitations de l'esthétique du beau et du visible et l'amplifie en une esthétique du bonheur. Elle dévoile ainsi également l'éthique inhérente à l'esthétique des cultures.
Comme l'art expérimente la possibilité de créer un monde qui nous réponde de façon aussi gratifiante que la voix de la mère, la culture expérimente la possibilité de nous répondre les uns aux autres de façon aussi gratifiante. Car le plaisir pris à l'usage des sons est la clef de la joie dont nous enchante l'art aussi bien que du bonheur que nous promettent les cultures.