La littérature moderne montre souvent une propension de l’écriture à se confronter à sa propre impossibilité, voire à s’en nourrir, paradoxalement. Ce paradoxe est difficilement théorisable ou conceptualisable, il échappe essentiellement à la saisie conceptuelle et à la logique classique, mais il est cependant l’objet d’une expérience littéraire récurrente, historiquement repérable, objectivement observable dans les textes, et donc descriptible, ou appréhendable comme une sorte d’algorithme de certaines tendances de l’écriture littéraire (non tant dans son contenu que dans son mode de fonctionnement) : comment continuer à écrire jusque dans l’aporie, comment frayer dans l’impasse (aporia) les chemins de l’écriture ?
Cette prédilection de l’écriture pour une situation autocontradictoire a été relevée par Roland Barthes disant que « la modernité commence avec la recherche d’une Littérature impossible ». C’est sur ce paradoxe que portera ici notre réflexion, pour essayer d’en dégager les origines, pour tenter d’en explorer les modalités et les modulations. La littérature en effet tend non seulement à se réfléchir elle-même, mais aussi à réfléchir sa propre impossibilité, à faire oeuvre de son impossibilité (à faire oeuvre de son propre « désoeuvrement », pour reprendre le terme de Blanchot), jusqu’à assumer voire revendiquer sa propre impossibilité comme étant son essence même.
Les textes de ce volume s’arrêteront plus particulièrement sur les oeuvres de Rousseau, Melville, Thoreau, Flaubert, Baudelaire, Mallarmé, Gide, Kafka, Beckett, Bataille, Blanchot, Claude Louis-Combet, Gracq, Jabès, Celan, Gherasim Luca, Jean Tortel, Christian Hubin, Pascal Quignard, Michel Deguy...