Nous serions-nous trompés (nous, héritiers de la Grèce,
artisans ou praticiens de la métaphysique) en accordant
une centralité au phénomène de la voix et en traitant l'écrit
comme substitut de celle-ci ? L'erreur qui aurait été commise
reçoit chez Jacques Derrida le nom de «phonocentrisme».
Derrida ne voulait pas passer pour un archéologue, et la
question était celle d'une priorité phénoménologique : du
dit ou de la trace écrite, quel est le phénomène le plus originaire
? Mieux vaudrait ne pas raidir la différence. Catherine
Pickstock prend pour exemple la prière liturgique, dont la
voix fait éclater les limites du texte. Cette voix nous est
donnée «après l'écrit», parce que sa présence n'est pas pour
l'interprétation. La prise de parole liturgique veut nous offrir
les mots dans leur gloire ; et en même temps, il n'y a pas de
liturgie sans textes liturgiques. Celui qui célèbre est un lecteur,
dont la personne est intégrée à la personne d'un autre : in
persona Christi. La liturgie offre une alternative théologique
au primat naïf de la voix. Elle donne aussi les moyens de
critiquer le primat naïf de l'inscrit. Vive et inscrite à la fois,
la prière liturgique constitue aussi bien un acte de parole
qu'un acte de présence. Celui qui aura lu le livre de Catherine
Pickstock s'en convaincra aisément.