Aragon, la confusion des genres
J'aurai passé une bonne part de ma vie plongé dans votre oeuvre avec une opiniâtreté dont mes amis s'étonnent, n'aurais-je pu avec le temps changer de sujet ou d'auteur ? Je connais par coeur beaucoup de vos vers, de vos phrases, il n'y a pas de mois dans votre biographie où je ne vous suive à la trace - vous en avez tant laissé sur votre passage ! Vous remuez les passions les plus contradictoires, les uns vous saluent toujours avec enthousiasme, d'autres par des huées. Je sais toutes les objections que votre nom soulève, j'ai relaté et annoté les charges qui pèsent sur vous, sans partager la sévérité de vos juges dans ces procès qu'on vous intente... Je me dis qu'attirer tant d'amour et de haine à la fois semble plutôt bon signe, et que vous êtes vivant dans cette pièce où je vous lis, où je vous écris.
L'un et l'autre
Des vies, mais telles que la mémoire les invente, que notre imagination les recrée, qu'une passion les anime. Des récits subjectifs, à mille lieues de la biographie traditionnelle.
L'un et l'autre : l'auteur et son héros secret, le peintre et son modèle. Entre eux, un lien intime et fort. Entre le portrait d'un autre et l'autoportrait, où placer la frontière ?
Les uns et les autres : aussi bien ceux qui ont occupé avec éclat le devant de la scène que ceux qui ne sont présents que sur notre scène intérieure, personnes ou lieux, visages oubliés, noms effacés, profils perdus.