Jusqu'ici la plupart des historiens de la pensée ont considéré la figure de l'ange principalement sous l'angle de sa signification religieuse et de ses dimensions théologiques. De la sorte, les théories philosophiques médiévales sur la nature et la fonction des anges ont été longtemps négligées. La présente étude entend combler cette lacune en opérant un décloisonnement des doctrines angélologiques de Thomas d'Aquin (1224/25-1274) et de Thierry de Freiberg (1240-1318/20). L'analyse de ces doctrines révèle la pertinence philosophique des problèmes posés par la conception des anges en tant que "substances séparées".
Qu'est-ce que l'ange ? Quelle est la nature de son individualité ? Quelle est sa position et sa fonction par rapport aux autres êtres ? Comment s'intègre-t-il dans l'architecture cosmologique et dans la structure métaphysique de l'univers ? Voilà les questions auxquelles les penseurs médiévaux répondent par l'élaboration de théories philosophiques qui apparaissent comme des véritables laboratoires de la pensée : ici, le travail conceptuel est d'une rigueur radicale. La figure philosophique de l'ange qui en résulte fournit non seulement une médiation métaphysique qui permet d'expliquer la structure et le sens de l'ordo rerum, mais aussi et surtout un puissant paradigme théorique de la subjectivité. Tiziana Suarez-Nani montre ainsi que, par le biais de ce paradigme, l'ange se révèle comme "l'autre soi-même de l'être humain" : une figure où l'homme retrouve le meilleur, le plus profond et le plus élevé de sa propre humanité.