Le présent ouvrage est une lecture généalogique des versions successives de l'interrogation que Heidegger consacra à l'origine de l'oeuvre d'art à l'époque de sa compromission la plus manifeste avec le nazisme. Comme cette compromission se déclarait justifiée non par l'idéologie officielle mais par des arguments strictement philosophiques, elle invite à s'enquérir des sources qu'avait pareille justification d'une part dans les travaux antérieurs du philosophe, notamment dans Sein und Zeit, et d'autre part dans la mémoire qu'il avait, immense mais très sélective, de l'histoire de la philosophie depuis les Grecs jusqu'à Nietzsche.
Jacques Taminiaux met en contraste deux approches philosophiques de l'art et du politique : l'approche spéculative, celle de Platon chez les Anciens et de Hegel chez les Modernes, et l'approche judicative, celle d'Aristote chez les Anciens et de Kant chez les Modernes. La première approche, célébrée par Heidegger, réserve au philosophe le privilège d'une vue de dernière instance sur l'art et le politique. L'approche judicative, en revanche, dédaignée par le penseur allemand, reconnaît à chacun le droit et la capacité de se prononcer dans ces deux domaines.