Écrire sur le passé, les pieds empêtrés dans
un tapis de prière, qui ne serait pas même
une natte de jute ou de crin, jetée au hasard
sur la poussière d'un chemin à l'aurore, ou
au pied d'une dune friable, sous le ciel
immense d'un soleil couchant.
Silence de l'écriture, vent du désert qui
tourne sa meule inexorable, alors que ma
main court, que la langue du père (langue
d'ailleurs muée en langue paternelle)
dénoue peu à peu, sûrement, les langes de
l'amour mort ; et le murmure affaibli des
aïeules loin derrière, la plainte hululante des
ombres voilées flottant à l'horizon, tant de
voix s'éclaboussent dans un lent vertige de
deuil - alors que ma main court...
Longtemps, j'ai cru qu'écrire c'était s'enfuir,
ou tout au moins se précipiter, sous ce
ciel immense, dans la poussière du chemin,
au pied de la dune friable... Longtemps.
Assia Djebar