Au bout du monde
Dans Au bout du monde, l'auteur s'attache à décrire une micro-société dans ce « penn ar bed » qu'il connaît bien durant la Première Guerre mondiale. Le roman se déroule à Toul-Douar, hameau situé sur la côte du Bas-Léon, entre Le Conquet et Lampaul-Plouarzel, face à Molène et Ouessant. Il montre l'importance de la mer pour des agriculteurs souvent aussi marins, pilleurs d'épaves ou goémoniers. Tout comme les îles du Ponant, Toul-Douar reçoit de plein fouet la violence des vents de mer. Certes, le village de Kergroas, dont il dépend, n'est pas menacé d'engloutissement, et ses habitants tirent essentiellement leurs ressources de la terre. Toul-Douar symbolise parfaitement ce contraste entre deux genres de vie radicalement opposés : déjà, certains jeunes font leur service militaire dans l'armée de terre (ce qui serait presque impensable dans les îles ou les ports) ; en revanche, la mer, au même titre que les travaux de champs, gouverne la vie sociale et l'emporte notamment sur l'effort de scolarisation. La petite communauté villageoise se soude automatiquement dès qu'elle se sent attaquée de l'extérieur : elle considère l'océan et ce qu'il charrie comme sa propriété et se heurte à la vigilance des douaniers. L'ostracisme envers les « étrangers » perdure, par douaniers interposés. Le réflexe de solidarité fonctionne toujours comme une soupape de sécurité et efface les divisions internes. On le retrouve ici : la lutte pour prendre de vitesse la mer et les douaniers quand La Princesse s'échoue amène l'insertion de l'institutrice Geneviève Bars dans la population du hameau. Tacitement, mais efficacement, les habitants de Toul- Douar s'accordent pour piller l'épave et répartir le butin : la mer régule véritablement les fluctuations des relations sociales, elle constitue le dénominateur commun des multiples individualités, elle agit comme un creuset où se refond périodiquement la conscience collective... (extrait de l'Introduction, d'Eric Auphan, président de l'Association des Amis d'Henri Queffélec).