Ainsi l'étouffante tradition villageoise, la pauvreté ou presque, la cécité n'auront pu venir à haut de cet enfant d'Egypte appelé à devenir le héros d'un nouveau classicisme. Etudiant contestataire de la Grande Mosquée, il s'en va poursuivre ses études en France. Il se reconnait dans la culture française plus encore qu'il n'en fait sa seconde culture. Rien ne peut empiéter sur sa liberté acerbe. Eerivain, professeur, journaliste, opposant politique ou ministre, sans trêve il convoque son peuple aux lumières, les Arabes à des retrouvailles méditerranéennes, l'Orient et l'Occident à s'échanger.
D'une oeuvre énorme où se conjoignent la critique, l'histoire et la fiction, on a détaché ces pages. On les a choisies en fonction d'un triple critère : restituer les combats croissants d'une vie, et parfois ses bonheurs ; en déployer le problème central ; en regrouper les achèvements les plus beaux. Espérons qu'elles vont porter à une lecture internationale cinq ou six fois, plus de titres que l'Occident n'en avait jusqu'ici connu de Taha Hussein.
Or ce militant de la modernité véritable, cet adversaire de tous les immobilismes, de toutes les suffisances, n'a jamais rien abdiqué de son identité personnelle ou collective. Affamé du vaste monde, il n'a jamais déserté en esprit son limon natal. La nouveauté en lui s'est voulue gardienne de l'authenticité et il fait résider une part de cette dernière dans un dialogue de civilisations. Ce message, qui nous arrive peu d'années après la mort du maître, ne sera pas inutile, croyons-nous, aux débats de notre temps.
(Jacques Berque)