La crémation est entrée comme en catimini dans notre modernité. Proscrite par les monothéismes, seule l'Eglise catholique a décidé de la tolérer et ce depuis l'année 1963. On comprend cette réticence. Pour les chrétiens, la vie éternelle concerne l'homo totus, autrement dit l'âme et le corps. Les morts, dans leur cimetière sont en état de dormition. Ils attendent le jugement dernier. Ils se relèveront. À cela s'ajoute que le feu, en Occident, depuis l'évangélisation des terres celtes, était promis à ceux qu'on voulait sortir de l'histoire, jeter au néant. Comment se fait-il alors que des populations qui l'avaient regardé comme l'ignominie absolue soient en situation de choisir aujourd'hui et massivement la crémation (jusqu'à 50% dans les grandes agglomérations en France) ?
J'ai demandé à Michel Hulin, philosophe et indianiste, spécialiste de la pensée indienne, de m'expliquer ce qu'était la crémation dans un contexte traditionnel et je lui ai parlé de mes visites du crématorium du Père Lachaise. Nous avons questionné la signification de l'inhumation et de la crémation, confronté le modèle égyptien qui conserve tout et du modèle indien qui ne conserve rien, abordé ces nouvelles pratiques funéraires qui cherchent à réintroduire le corps dans le grand cycle de transformation. Nous avons surtout découvert que nous avions lui et moi nourri une peur de la mort, une peur depuis l'enfance ; que nos trajectoires intellectuelles s'originaient en elle.
Jean-Philippe de Tonnac