La pratique professionnelle du piano suppose une discipline stricte. Elle exclut tout divertissement susceptible d'éloigner l'artiste de son clavier. Pourtant il aimerait, lui aussi, jouir de la lumière du monde, de la douceur de vivre, de la tiédeur de l'air et de l'amour des femmes. Eh bien non : mort ou vif, le pianiste se doit d'abord à son public.
Tout y est. Il y a le noir de son costume et le blanc de ses cheveux, les boutons de son imperméable prêts à se détacher un par un, son visage livide et ses yeux vides à force de peur. Max Delmarc, pianiste d'une cinquantaine d'années, va bientôt mourir. Jean Echenoz, dès les premières lignes, campe le décor. La lutte entre la vie et la mort symbolisée par le contraste des couleurs, les traits du visage comme coulés dans du marbre, le compte à rebours égrené par la perte des boutons. Au piano, qui commence et se termine aux alentours de la rue de Rome dans le 17e arrondissement de Paris, raconte un voyage. On y retrouve les thèmes de la fuite, de l'aller-retour, de l'ennui. Une impression de cataclysme maîtrisée par la tenue d'une langue infrangible.
Au piano n'est pas seulement le plus beau livre de Jean Echenoz. C'est le plus personnel. Le plus risque-tout. On y
parle de l'approche de la mort, de la vie mal pesée, de la fuite en avant, de la femme inaccessible. Du non-sens perpétuel dans lequel il faut quand même trouver ses marques. On y voit un homme croiser le fer avec son destin.