Nier l’existence d’un droit de résistance, n’était-ce pas aussi pour Kant une façon de défendre l’État issu de la Révolution française ? Tel est le point de départ choisi par D. Losurdo pour procéder à une relecture de l’ensemble de la pensée politique kantienne : face à toutes les « incohérences » que celle-ci semble comporter, face à tant de « duplicités », mi-calculées, mi-imposées par le contexte allemand et européen de l’époque, peut-on encore s’en tenir à l’image traditionnelle d’un homme exclusivement préoccupé de rigueur morale et de défense de l’ordre établi ? Le lien entre persécution et art d’écrire que laisse deviner le texte kantien ne suggère-t-il pas, au contraire, une toute autre figure, plus dramatique et moins rassurante ? Celle d’un philosophe contraint de se livrer à un exercice permanent d’autocensure et de dissimulation pour échapper à la vigilance des autorités prussiennes ? Et celle d’une théorie politique dont l’ambiguïté ne fait que réfléchir ce qui, dans les conditions de l’Allemagne contre-révolutionnaire, constitue le prix à payer pour tout intellectuel progressiste désireux de jouir d’une relative liberté d’expression : la laborieuse recherche d’un compromis avec le pouvoir en place.