Si j'ai choisi de consacrer la première des Rencontres sur la Poesie Moderne à l'œuvre d'André du Bouchet, c'est qu'elle est une des plus importantes de notre temps, mais aussi l'une des plus secrètes, si bien qu'elle commence tout juste à être reconnue comme elle le mérite : le lendemain du colloque, André du Bouchet recevait le prix national de la Poésie. Cette oeuvre éminemment solitaire, qui s’est élaborée à l’écart des modes littéraires, rencontre aujourd’hui un écho grandissant auprès de tous ceux qui s’intéressent à la poésie. De ce rayonnement témoigne la diversité des personnalités, venues de multiples horizons géographiques et intellectuels, qui se sont réunies pendant trois jours « autour d’André du Bouchet » à I’Ecole Normale Supérieure.
Dans ce lieu propice aux échanges entre connaissance, culture et création, la vocation de ces Rencontres est de favoriser une fructueuse confrontation entre les points de vue différents, mais selon moi complémentaires, que peuvent avoir sur la poésie moderne ceux qui l’écrivent, ceux qui la lisent, et ceux qui la font lire. La poésie contemporaine ne saurait être en effet le monopole d’aucun savoir. Son originalité échappe à l’emprise d’un langage unitaire et totalitaire. Parce qu’elle est affrontement du langage à son dehors, à son Autre, elle est foncièrement réfractaire à la tautologie d’un discours spécialisé. C’est pourquoi j’ai cherché à réunir, pour parler de cette oeuvre située elle-même à la croisée des langages, non seulement des universitaires de divers pays et de différentes disciplines (francisants, germanistes, philosophes, italianisants), mais aussi des « hommes de l’art » : des poètes, des critiques d’art et de littérature, un architecte. Ils parlent des langages différents, et l’on aurait pu croire qu’ils n’étaient pas faits pour s’entendre. J’ai pensé au contraire qu’un dialogue pourrait s’instituer entre eux, et qu’à travers la diversité de ces langages, ce qui différencie la poésie de tout autre langage aurait plus de chance d’être entendu qu’au sein d’un discours monologique.
Michel COLLOT