Le succès du Dit du vieux marin, ballade fantastique de
Coleridge, éclipsa pendant longtemps à l'étranger les Ballades
Lyriques de Wordsworth, qui furent éditées dans le même recueil,
selon le projet commun des deux amis. Ces Ballades Lyriques de
1798 sont à considérer comme l'oeuvre de jeunesse d'un poète qui
a pourtant déjà publié dans diverses revues et qui commence à
avoir en tête un projet théorique bien précis, développé deux ans
plus tard dans la première préface de 1800. C'est donc à la fois
comme poète et comme théoricien de la poésie qu'il faut considérer
celui qui, toute sa vie, remaniera la considérable autobiographie
philosophique et poétique du Prélude, dont à bien des égards
certains motifs apparaissent déjà dans Les Ballades Lyriques,
notamment les bienheureux moments magiques des "spots of
time". La progression du recueil retrace aussi un parcours, celui
d'un homme du XVIIIe siècle, inspiré par l'esprit des Lumières (le
rousseauisme et le godwinisme), celui du poète sensible méditant
sur la situation de l'homme en société, sur l'héritage d'une tradition
poétique, mais s'engageant aussi progressivement vers une
voie de plus en plus personnelle, que l'on dira ensuite romantique
: celle de la célébration des humbles, de la chanson triste et
simple ou, à l'inverse celle de la comédie. Et il n'est pas de plus
grande tendresse, tantôt joyeuse, tantôt douloureuse, que celle qui
se dégage des figures d'innocence ou de martyre, telles celles de
Johnny dans "Le petit idiot" ou de Martha dans "L'épine".
Enfin, c'est par un poème célèbre, et à redécouvrir, que se termine
le premier recueil de Wordsworth : le fameux "Tintern
Abbey". Par son inspiration formelle, il rappelle l'héritage sacré de
Milton, celui des poètes de la nature et de l'imagination au
XVIIIe siècle, tels que Thomson, Akenside, Cowper ; par son inspiration
lyrique, il reste certainement l'oeuvre la plus passionnément
intimiste, la plus philosophique et la plus sobrement hédoniste du
romantisme anglais.