A la fin de son journal, le 17 juin 1997, Jean-Marie Domenach écrivait : «Ne pas me déterminer par rapport à la mort, mais par rapport à la vie.»
Dernière page du dernier de ses cahiers d'écolier, le seul dont la couverture soit encore claire, comme neuve. La série est disparate, d'épaisseur inégale, le format, scolaire, les couvertures, ternes. [...]
Les cahiers se suivent et chaque couverture porte les dates des années écoulées. Mais il ne faut pas chercher un compte rendu rigoureux de ses travaux ni de ses combats. Parfois des indications ou la mention : «rien écrit ici depuis trois mois». Son journal, il le reprend «pour le plaisir» d'écrire, sans autre contrainte que celle de la mise en forme. Qu'il témoigne - l'aventure d'Esprit, les déceptions de l'après-guerre, la tragédie de l'Algérie, les prémices de 68 - ou qu'il raconte - ses rencontres avec les «grands», ceux qui ont fait l'histoire, comme avec chacun de ses interlocuteurs -, c'est un combattant qui parle, écoute, répond, intervient. S'il n'est pas content, il gronde ; une formule lui suffit pour assassiner l'adversaire ; une citation, anachronique, et on l'entend qui éclate de rire.
Il n'a pas cessé de se battre contre les tricheurs, pour la libération de l'homme de toutes les tyrannies.
Comment accepter le silence, laisser s'éteindre une voix qui s'adressait à tant d'amis ? Comment oublier sa réponse à la question qu'il se posait le 17 juin 1997 ? Il a continué à vivre sans se protéger et il est mort indigné.
Nicole Domenach