Bebuquin ou les dilettantes du miracle
Carl Einstein (1885-1940) peut être aujourd'hui considéré comme un témoin exceptionnel des avant-gardes du XXe siècle. Ennemi de tout compromis, inventeur au sens plein du terme, qu'il s'agisse de littérature (en atteste Bebuquin) ou d'esthétique (en attestent notamment ses essais concernant l'art africain), Carl Einstein a eu l'insigne mérite de contribuer au renouvellement radical des modes de représentations et de créations, qu'il s'agisse de littérature ou d'histoire de l'art. C'est pourquoi Bebuquin, oeuvre de jeunesse de Carl Einstein, déroutante et parfaitement même indéfinissable,
demeure une sorte d'objet littéraire non identifié. Réparti en dix-neuf chapitres, ironiquement qualifié de roman, Bebuquin a le don de renverser les lois de l'écriture, comme les cubistes en leur temps avaient défié les lois de la peinture. Bebuquin est un texte qui ne s'embarrasse d'aucune convention : aucun narrateur, aucune intrigue, aucune histoire, nulle psychologie, personnages à peu près inidentifiables. Oeuvre inclassable et décontertante, où se côtoient la parodie, l'humour et le grotesque, pour aboutir à l'ébranlement continuel de la tradition littéraire, Bebuquin demeure encore aujourd'hui, et sûrement pour longtemps, un moyen de mettre à bas toute convention, en s'accomplissant dans une dynamique de création libre qui permet à l'art d'écrire d'acquérir une autonomie des plus affolantes. Par sa radicalité, sa modernité et sa liberté sans pareilles, cette oeuvre représente, non seulement un jalon de l'histoire littéraire, mais encore, également, à n'en pas douter, une énigme qui demeure impérativement incontournable pour toute littérature à venir.