« C’est un préjugé de croire que le génie doit mourir de bonne heure. Je crois qu’on a assigné l’espace compris entre trente et trente-cinq ans comme l’époque la plus pernicieuse pour le génie. Que de fois j’ai plaisanté et taquiné à ce sujet le pauvre Bellini en lui prédisant qu’en sa qualité de génie, il devait mourir bientôt, parce qu’il atteignait l’âge critique ! Chose étrange ! Malgré notre ton de gaieté, cette prophétie lui faisait éprouver un trouble involontaire : il m’appelait son jettatore et ne manquait jamais de faire le signe conjurateur... Il avait tant envie de vivre ! Le mot de mort excitait en lui un délire d’aversion : il ne voulait pas entendre parler de mourir ; il en avait peur comme un enfant qui craint de dormir dans l’obscurité... C’était un bon et aimable enfant, un peu suffisant parfois ; mais on n’avait qu’à le menacer de sa mort prochaine pour lui rendre une voix modeste et suppliante, et lui faire faire, avec deux doigts élevés, le signe conjurateur du jettatore... Pauvre Bellini ! »
Fruit d’une sélection réalisée au sein des fonds de la Bibliothèque nationale de France, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques dans les meilleures éditions du XIXe siècle.