Depuis les années 2000 se multiplient à tous les échelons de l'enseignement supérieur des dispositifs de sensibilisation et de formation à l'« entrepreneuriat ». D'où provient cette injonction croissante d'éduquer la jeunesse à l'esprit d'entreprendre » ? Que fait au fonctionnement de l'Université cette montée en puissance de la référence au monde économique en son sein ? Quels sont les enjeux politiques de cette fabrique de vocations entrepreneuriales ?
À partir d'une enquête au long cours combinant entretiens, observations et archives, l'ouvrage retrace la genèse de ce projet éducatif et les formes de son déploiement dans les universités et grandes écoles françaises - à travers notamment la dévalorisation des savoirs théoriques au profit de « savoir-faire » et de « savoir-être » supposés immédiatement utiles dans l'univers économique, l'adoption de normes de conduite valorisées en entreprise, etc.
Le projet éducatif ainsi déployé sous la bannière « entrepreneuriale » participe à la diffusion de l'idéologie néolibérale. S'il donne l'illusion que tout le monde peut entreprendre, il prépare d'abord les fractions les moins dotées de la jeunesse diplômée à l'occupation de positions précaires aux marges du salariat (micro-entrepreneuriat, par exemple) tandis qu'il permet à une jeunesse dorée d'accéder à de nouvelles positions valorisantes (dans l'univers des start-up, notamment).
L'enseignement supérieur est ainsi appréhendé à la fois dans ce rôle inédit de laboratoire des idéologies capitalistes - quand l'Université avait, du moins depuis 1968, plutôt fait figure de lieu de la critique sociale -, mais aussi de « cible » pour des modèles qui, en la pénétrant, en subvertissent en partie les objectifs et les modes de fonctionnement.