Ma grand-mère habitait en bout de piste à Orly, elle était dame
pipi à Orly où je passais mes vacances quand j'étais gamin.
Dans les chiottes d'Orly - j'adorais ça : «Départ à destination
de Rio de Janeiro...» Putain, ils s'en vont à Rio ! Et je courais
voir. J'allais aussi regarder ceux qui revenaient. «Arrivée en
provenance de...» Je voyais toutes les villes du monde défiler
: Saigon, Addis-Abeba, Buenos Aires... Moi, j'étais dans
les chiottes. Elle, elle nettoyait les chiottes, elle travaillait pour
une boîte qui s'appelait L'Alsacienne. Ma grand-mère se rasait,
j'étais toujours fasciné. Elle avait un Gillette double lame et
elle se rasait. Quand je l'embrassais, je lui disais : «Tu piques
encore, Mémé ! - Je me raserai demain, t'en fais pas...» Dame
pipi, la mère de mon père. J'ai longtemps voyagé depuis les
chiottes d'Orly d'où j'entendais des noms, des destinations qui
me faisaient rêver. Depuis les chiottes, je me disais : «Un jour
j'irai ! Un jour j'irai là-bas, moi aussi, et un jour je reviendrai,
un jour, un jour...» C'était ça, ma vie. Plus tard, quand j'étais
en apprentissage à l'imprimerie, le bruit de la machine dans ma
tête... Le bruit de la machine m'emmenait dans des espèces de
musiques, de tourbillons, et je me disais : «Putain, j'aimerais
bien... ça doit être beau... ce que j'aimerais, tu vois, c'est avoir
une maison avec des odeurs de pin, des épines de pin qui te
piquent les pieds quand tu marches dessus. Là-bas, j'emmènerais
toute ma famille... et moi je partirais à la découverte d'autres
choses...» Je rêvais, je partais tout seul dans ma tête. Toujours,
tout le temps. Jusqu'au jour où je me suis vraiment barré, mais
sans violence. Je ne suis pas parti parce que mon père, le Dédé,
était insupportable, ou parce que ma mère, la Lilette, pareil, non,
non, je suis parti parce que j'étais libre. J'avais été aimé pour être
libre et pour aller là où je devais aller. Je n'ai jamais été ni jugé
par mes parents, ni tenu, ni rien du tout. J'ai toujours été libre.
Gérard Depardieu