Cahiers d'Ivry
I
Cahiers 233 à 309
Les derniers Cahiers d'Ivry constituent la fin des Oeuvres complètes d'Antonin Artaud. Ce volume couvre la période qui s'étend de février à juin 1947. Inlassablement, il continue d'y mettre en espace ce qu'il nomme son nouveau Théâtre de la Cruauté. Que signifie avoir « un esprit qui littérairement existe » ? C'est la question qu'il posait à ses débuts à Jacques Rivière, le directeur de La NRF. Vingt ans plus tard, après une longue traversée d'enfermements asilaires, la question est réapparue. C'est bien en effet cette fondamentale question de l'inspiration - question qui hanta aussi les surréalistes - qu'il reprend sans relâche : comment commence-t-on à écrire ? Qui écrit, qui pense en moi ? Quel démon s'empare du Verbe humain avant qu'il ait commencé à penser ? Au fil des pages, les lettres se mettent en mouvement, un rythme progressivement émerge, accompagné de coups, de cris : chorégraphie de gestes et de voix, dessins semés sur la feuille.
« Je ne suis jamais né », répète-t-il depuis son enfermement dans l'asile de Rodez, et donc je ne peux pas mourir. À entendre comme production infinie d'écriture, système perpétuel, « machine de souffle », prolifération sans fin d'un corps sans organes. C'est donc là, au creux des pages, entre les pages et les lignes, d'un cahier à l'autre, que s'opère « la matérialisation corporelle et réelle d'un être intégral de poésie » (lettre du 6 octobre 1946 à Henri Parisot).