C'est souvent dans les époques de trouble où l'existence devient précaire que se
déclenchent les grandes vocations mystiques. L'Anatolie seldjouqide du milieu du
XIIIe siècle est écrasée par les Mongols. Immenses sont les souffrances et le désarroi
des populations anatoliennes. Face au massacre, à la barbarie et à la cruauté du temps,
Younous Émrè apporte par son oeuvre la consolation à ceux qui n'ont plus d'espoir.
C'est un poète «populaire», non pas au sens d'aujourd'hui, mais à celui qu'il
avait dans la conscience médiévale, c'est-à-dire un auteur qui dépasse la rhétorique
figée des clercs et des savants de son époque pour se livrer à un travail créateur, à l'élaboration
d'un langage poétique nouveau qui exprime l'universalité transcendante de
son expérience particulière. Il écrit en moyen-turk du XIVe siècle, mais 38 % de son
vocabulaire est d'origine arabe et 15 % d'origine persane. L'harmonie de l'ensemble
provient d'un juste équilibre entre la tonalité concrète du turk et la tonalité abstraite
des emprunts à l'arabe et au persan.
Pour préserver la saveur, la richesse et la beauté des textes de Younous Émrè,
Rémy Dor a choisi de les rendre en moyen-français des XIVe-XVe siècles. Le lecteur
trouvera en page de gauche le texte turk en transcription et les notes et scolies qui
l'accompagnent et en page de droite le texte en moyen-français ainsi que la traduction
informative et littérale en français moderne. Le jeu des couleurs lui permettra de
distinguer la base turke et les apports arabes et persans.
Sur les 205 poèmes du Divan, Rémy Dor en a retenu 14 pour leur perfection
formelle et leur intensité spirituelle. Ce parcours initiatique s'étend sur une hebdomade,
soit 7 nycthémères, afin d'évoquer la date fatidique de 707 (où Younous Émrè
se fit derviche), les 7 cantiques du crépuscule et les 7 cantiques de l'aube étant séparés
par l'élément neutre de la minuit, o heure. Il y eut un soir et il y eut un matin...