C'est sans aucun doute le Moyen Âge latin qui a, dans nos cultures,
le plus contribué à former une image du dragon héritière des
mythologies, mais surtout du monstre de l'Apocalypse. Cet animal
fantastique terrifiant est donné comme symbole par excellence du
Mal, c'est-à-dire comme créature privilégiée du Diable. Il est aussi
l'animal de l'Épreuve, appel au chevalier à se surpasser pour son
honneur et sa gloire. Cette image médiévale transmet à la postérité
- dans la plus longue durée - un véritable archétype, générateur
d'un mythe. Aller vers le dragon, c'est donc, pour une part,
s'engager dans l'aventure des premiers temps du monde - c'est
retrouver les êtres primordiaux, les dieux originels ; c'est également
tenter de mesurer les réécritures, les réinterprétations, les
multiples évolutions de l'animal monstrueux. Parmi celles-ci, on
enregistre, dans la littérature de jeunesse du XXe siècle, la métamorphose
du monstre diabolique en gentil dragon, qui n'efface pas
pour autant son ancêtre, mais le redéploie. Le dragon moderne des
enfants (et peut-être aussi des adultes), que nous suivrons à travers
différents textes, en le regardant aussi au cinéma, à la télévision, est
avant tout un héritier. Cet essai se propose donc d'analyser les
caractères de l'animal mythique, puis ses métamorphoses, et de
mesurer combien le «nouveau dragon» reflète certaines composantes
essentielles d'une mentalité des temps (post)modernes qui,
tout en innovant, continuent de véhiculer des structures imaginaires,
des figures et des motifs ancestraux.