«Pêcheurs
Regardez donc. Par Protée,
par le nom du vieux de la mer, je vois là un homme lambda.
S'il a bien forme humaine, c'est quand même un cadavre. La vague naissante, peu à peu, soulève
feu sa forme, qu'elle engloutit dans ses remous d'écume sitôt qu'elle se brise.
Regardez, et là encore un autre.
Leurs vêtements, s'ils en avaient, sont partis en lambeaux.
Pudiques, les dieux des mers ont enduit
leur bas-ventre de goudron.
Voilà qu'on dirait des phoques.
Vu comme on les a tous massacrés, citons-les dans notre prière du matin.
Et là derrière le troisième.
En une seule aube aux doigts de rose, trois cadavres à l'eau. Que veux-tu qu'on fasse.
La mort s'en débrouille très bien, avec ou sans nous.
Sinon, tout au plus, les écarter du bout de nos gaffes.
Afin que les beaux râles d'agonie des ultimes animaux protégés pris dans les mailles
de nos chers filets ne les dérangent pas.»
Péter Nádas, Chant de sirènes, 2010.