La satiété, qui témoigne parfois d'une incertitude sur le sens et la nature des joies consenties au destin humain, conduit Byron, âgé de vingt ans, vers des contrées moins civiles que l'Angleterre où il n'a pas encore droit de cité. Là-bas, le soleil, le ciel ont une autre densité, la noblesse suppose l'héroïsme, les femmes ont l'œil noir...
Mais le monde est bouleversé, les Muses évanouies, les raisons de vivre et de mourir également dissipées, sinon dans l'absurde sacrifice à la Gloire égoïste d'un maître éphémère. En 1809, l'Empereur français dévaste l'Espagne ; l'Empire turc oppresse la Grèce, que des lords et des artistes dépouillent de ses vestiges. La Nature seule suggère encore le souvenir des âpres passions de l'époque où coulaient les sources de notre culture qui nourrirent «nos premiers rêves». L'horreur «jamais toute faite» des guerres modernes, couchant des milliers d'hommes en un instant et broyant les êtres au cours de leurs effrois, Ravage seul tonnant dans un univers rendu précaire, hante et parcourt ce poème multiple, conçu comme une suite de digressions renvoyant en échos des propos et des touches sensibles qui se répondent peu à peu, parfois dans une feinte incohérence, lorsque Byron soutient des conclusions opposées, également éprouvées.
La parution de ces chants I et II, en 1812, rendit Byron célèbre en Angleterre, puis en fit un archétype pour tout le romantisme européen - lequel se révélera souvent enclin à estomper son ironie, son sens de la satire - ; le conformisme réduira par ailleurs son désarroi à un artifice. La licence de la pensée, cependant, n'exclut jamais une intense détresse : la peine de vivre, le mal d'exister dans un monde qui suit son cours deviennent l'expérience centrale de la poésie.