« Les hommes ne peuvent rien faire sans adopter la fiction d'un commencement » (George Eliot). Prélude, prologue, exorde, prémices, préambule, préliminaire, introït, orée, aurore, aube, origine et d'autres encore : autant de mots pour dire, c'est-à-dire tenter de coïncider avec l'impossible instant zéro du commencement. Mais n'en va-t-il pas toujours ainsi de l'impossible qu'il fait d'autant plus parler qu'il échappe incessamment à la prise ? Voilà qui justifie la belle sentence de Georg Eliot : pas de commencement qui ne commence par une fiction du commencement, toute histoire, du moins tout récit est à ce prix. Il n'y en a pas moins une nécessité à cela, celle de rendre compte du nouveau qui ne découle pas de ce qui le précède sans au moins dévier ou dériver de sa ligne, comme aspiré par ce qui est à naître.
Tout commencement véritable s'entoure d'une zone d'indiscernabilité et de non-savoir qui tient à ce qu'il est en recherche de sa forme et de son issue, ce qui ne va pas sans transactions circonstancielles avec le milieu dans lequel il se fraye un chemin. C'est aussi pourquoi il ne peut se décliner qu'au pluriel, dans la diversité des milieux et des variations de rythme et d'allure qui le conditionnent et qu'il traverse, un changement important n'affectant pas l'individu, le social, le politique ou le culturel selon une même temporalité. Pris dans un devenir autre, transformation, mutation voire métamorphose plutôt que naissance ex abrupto, le commencement remonte en amont de l'événement qui le déclare et s'étire en aval dans le déroulement de ses conséquences.
Idée simple qui oriente ce livre : du commencement il y a lieu de distinguer les processus temporels qui en créent, cas par cas, les conditions de possibilité. Commencer prend plus de temps qu'il n'en faut pour un commencement.