L'après-midi du dimanche 28 juin, c'était le Grand Prix de Long-champ.
Mme Poincaré et moi, nous devions, suivant l'usage, aller le
voir courir. Nous sommes partis par un temps splendide, avec l'équipage
à la daumont, et dans les allées du Bois se pressait sur notre passage une
foule insouciante et joyeuse. On ne dira jamais assez les services que rend
le soleil à la popularité des chefs d'État. Nous avons trouvé, dans la tribune
présidentielle, les présidents des Chambres et le corps diplomatique.
Un buffet était dressé à l'intention de nos hôtes. La pureté du ciel,
l'affluence des spectateurs, l'élégance des toilettes, la beauté du champ
de courses dans son immense cadre de verdure, tout nous annonçait une
après-midi charmante.
Je suivais d'un regard un peu distrait le galop des chevaux, lorsqu'un
télégramme de l'agence Havas nous a été communiqué et a jeté la consternation
parmi nous. Il y était annoncé que, dans une visite à Serajevo,
l'archiduc héritier d'Autriche, François-Ferdinand, et sa femme morganatique,
la duchesse de Hohenberg, avaient été mortellement frappés.
Deux attentats successifs avaient été commis, le premier, disait-on, par
un ouvrier typographe de race serbe, mais sujet autrichien, le nommé
Kabrinovitch, qui avait lancé une grenade à main, mais n'avait atteint
que des passants ; le second, par un étudiant, nommé Prinzip, également
sujet autrichien, qui avait tiré plusieurs coups de browning, presque à
bout portant, sur l'archiduc et sur la duchesse de Hohenberg et qui avait
blessé celui-là à la tête et celle-ci au ventre. Tous deux, transportés au
Konak, étaient morts quelques minutes après.
Raymond Poincaré