Thanassis Hatzopoulos a dépeint en ces termes le geste du poète : « sur l'épaisseur disloquée du rien, traquant le verbe de la vie sur le terrain même que propose la mort ». La mort est le fil conducteur de Complexes et Germains. Elle est là, dès la naissance, manifestant la présence de la fin dans tout commencement. Vie et mort intarissables, enchevêtrées, incandescentes. C'est à cela que le poème répond, « voix vivante dans la grande communauté de la mort », mais aussi vaisseau conducteur de « l'amour qui recompose le sens à l'apogée de la vie ».
Cet emmêlement de défaite et de surrection, de flamme vive et de cendre, de construction et de destruction, le poème en devient l'icône même. Dans Complexes, première partie du diptyque, nous sommes exposés à des événements de langage où se conjoignent avec une vertigineuse intensité le magma et la forme accomplie, l'écheveau inextricable et le tissage splendide. De même assiste-t-on à de constants et rapides retournements des turbulences et des accalmies, du précaire et de l'infrangible, de l'être et du néant. La parole n'a de cesse de tresser l'émergence lumineuse et l'immersion dans l'obscur, prenant le risque de n'esquiver à aucun moment ni les puissances de la vie ni celles de la mort. Alors même que le poème est porté par une tension jamais relâchée vers le récit, il accueille ce qui attente à sa continuité narrative. Autrement dit, il intègre dans son faire les instruments du défaire, appelant à ce travail de sape et de relance du sens les ellipses et les enjambements. Les poèmes de Complexes se déploient en longues périodes qui plusieurs fois se brisent dans leur ressac, comme si la mort était matérialisée par une violence du vide au bout de chaque vers, avant que l'élan de la vague ne renouvelle le flux.
Le titre du premier volet du diptyque est polysémique et l'on peut considérer qu'il renvoie aussi aux mathématiques où le système des nombres complexes peut être défini comme une extension des nombres réels par un nombre imaginaire. Germains, le second volet du diptyque, se caractérise par une variation de tons, un tissage en apparence moins serré, avec des poèmes s'offrant parfois sous deux versions différentes, tels des frères jumeaux prenant des chemins distincts, voire des orientations inverses, révélant ainsi les potentialités d'une souche commune.