Il ne saurait y avoir pour Nietzsche d'esprit libre sans un certain « sens de la distance », sans un courage, un goût de l'aventure intellectuelle qui fait de lui à sa façon un guerrier, mais un guerrier qui triomphe d'abord de lui-même - et surtout il ne saurait y avoir d'esprit libre sans probité, cette « vertu » de philologue, mais qui reste la plus caractéristique de la liberté d'esprit dans la culture moderne.
C'est cette probité, ce courage, cette force de s'élever au-dessus des instincts grégaires que Nietzsche attendait, exigeait, de ses amis - et aussi sans doute de ses lecteurs.
Dans un de ses derniers écrits, Ecce homo, il s'est demandé si ses livres pouvaient seulement être lus, c'est-à-dire compris par ses contemporains. Plus d'un siècle après la mort de Nietzsche, après tant de débats, d'efforts d'interprétations, d'études érudites, pouvons-nous faire que l'inactualité essentielle de son oeuvre nous soit enfin accessible ?