Comme les bureaucrates syndicaux n'ont rien tant à
craindre que l'émancipation effective des travailleurs,
les intellectuels n'ont de pire ennemi que le vrai, qui les
met au chômage. Leur fonction, de nos jours, est plutôt
d'accompagner de leur bavardage la création d'événements
- comme «le 11 septembre» ou à présent «la
crise» - par quoi l'Empire justifie la mise en place accélérée
de ses dispositifs planétaires. Il y a, naturellement,
un autre usage de l'intelligence. On en reconnaît les productions
sans peine : l'époque les honore de son silence
blessé. Nul n'a songé à flatter Tiqqun - et surtout pas ses
propres partisans - d'avoir saisi avec une si prémonitoire
lucidité la physionomie de ce temps, ses lignes de force
et ses points de faiblesse. Avoir raison est peu de chose.
Le tout est d'agir en conséquence. Or c'est bien ce qui
fait de Tiqqun, depuis dix ans, tout autre chose qu'une
revue - à la parution assez erratique en apparence pour
qu'on la croie défunte : une pièce dans un plan de consistance
qui n'a cessé de se déployer, en extension, en
profondeur et en intensité. Que des vies se soient liées à
ce qui a été reconnu là pour vrai est une injure suffisante
au cynisme régnant pour que l'on vous traite, dès lors,
en «terroriste».