Imaginons un lecteur curieux et ignorant tout des deux protagonistes
de cette longue conversation. Il découvrirait par hasard ce volume. C'est
sans doute lui, le lecteur sans a priori, qui savourera le plus sa première
lecture, car il en vivra, pas à pas, le déroulement progressif, celui d'une
histoire d'amour.
Elle apparaît dans sa banalité comme dans son extraordinaire, avec
cette chance supplémentaire qu'elle est écrite par un styliste hors pair et
par son émule douée. Ainsi notre lecteur suivra-t-il les remous de leurs
coeurs capricieux (il l'aime, elle l'aime moins. Il la persuade, elle se laisse
faire. Elle a des amants, il souffre. Il la maltraite, elle se rebelle). Il verra la
relation s'affermir : il lui enseigne, elle apprend. Ils se marient. Ils achètent
un appartement. Elle lui offre un fouet, elle lui raconte ses aventures.
Il bricole, elle décore. Il voyage. Elle écrit. Etc.
Cette chronique d'un amour construit peut se lire comme telle, hors
contexte, hors références et personnages illustres (et on en croise ici, des
personnages illustres et éclectiques, à commencer par Jérôme Lindon en
jeune éditeur courageux, Barney Rosset en hôte généreux et approximatif,
Roland Barthes, Claude Simon, Alain Resnais, Pierre Alechinsky et
tant d'autres). Elle ne finit pas. Elle se prolonge jusque dans l'écriture
du livre que Catherine Robbe-Grillet publie en même temps que cette
Correspondance, et qui s'intitule Alain.