Pourquoi la démocratie qui, en son principe, est un régime de liberté
peut-elle dériver vers la servitude ? Cette question n'est pas nouvelle, elle
figurait déjà en bonne place dans la pensée politique de Platon et
d'Aristote, pour lesquels cette dérive était inscrite dans la nature du
régime, lequel n'était donc pas viable. Elle se retrouve également chez les
premiers penseurs de la démocratie réelle moderne, en particulier Alexis
de Tocqueville, pour lequel la démocratie est perpétuellement confrontée
à une redoutable alternative : promouvoir le goût de la liberté ou, à
l'inverse, se dégrader en servitude de moeurs et d'opinion. Or, que cette
servitude démocratique, qui est une tendance interne par laquelle la
démocratie se détruit elle-même, ne résulte pas d'un pouvoir de
contrainte externe, mais trouve ses ressorts dans la volonté des individus,
nous savons le penser depuis longtemps avec le concept de servitude
volontaire d'Étienne de La Boétie.
Pourquoi donc parler de nouvelles servitudes ? Parce qu'il n'y a pas
lieu d'écrire aujourd'hui un «Contr'un». La figure du maître a changé, ce
n'est plus un maître personnel, un tyran, qui tiendrait sous son pouvoir
une multitude effrayée, mais un maître anonyme, sans visage et sans nom
propre qui, par de nouvelles voies (processus, consensus, production
d'idéaux ou de croyances, etc.), instaure une domination d'un nouveau
genre et de nouvelles servitudes. Celles-ci sont analysées ici sur les plans
de l'anthropologie, de l'éthique, de l'économie, ainsi que de l'analyse
sociale et de la philosophie politique en vue de repenser une liberté civile
(individuelle et politique) à la mesure des problèmes de notre temps.
Ce livre est une défense de la liberté issue de la convergence des vues, non
d'un collectif, mais d'un certain nombre d'individus singuliers, auteurs libres
et indépendants, disons intempestifs, qui entendent s'élever contre les formes
larvées de servitudes qui se mettent en place dans les sociétés démocratiques.
Il s'agit donc de retrouver l'esprit de liberté sans lequel la démocratie se
dégrade et se meurt.