De ce pas.
Envoûtée, comme enivrée, Marjorie l'était à nouveau en regardant
l'homme et la femme onduler sous ses yeux. Leurs bras chantaient en canon. Leurs
mains se croisaient à intervalles réguliers. Le mouvement était répété plusieurs fois,
puis la musique s'emballait, et leur pas de deux se terminait par un porté de haute
volée. Pour Marjorie, qui parlait la danse mieux que personne, la signification était très
claire. Après une phase d'atermoiements, de faux-fuyants et de méfiance, l'homme et
la femme faisaient le choix de la concorde, de l'harmonie. Ensemble, ils effaçaient le
temps de l'incertitude. Ou, mieux, ils l'oubliaient. C. B.
Ancienne danseuse étoile, Marjorie a fait ses adieux à la scène au moment où elle
admire ce pas de deux. Elle vit avec Paul, une petite fille est née, et elle s'interroge
sur son avenir.
Toute la tension dramatique de ce premier roman remarquable de concision est
contenue dans la description du couple dansant : après l'éblouissement de la rencontre,
le temps pour Marjorie et Paul est aux faux-fuyants. L'un et l'autre ont voulu croire
qu'ils pourraient faire fi de leur passé : Marjorie de ses origines cambodgiennes ; Paul,
un protestant ardéchois, des névroses familiales. Leurs deux silences, qui leur furent
d'abord un refuge, s'entrelacent jusqu'à les éloigner.
Par-delà l'histoire de Marjorie et de Paul, Caroline Broué, en de brèves séquences
syncopées, scrute les doutes d'adultes de quarante ans aujourd'hui : ceux que la vie
oblige à prendre leur destin à bras-le-corps et dont c'est le tour d'entrer en scène. De
ce pas est un très beau roman sur le temps qui passe, et sur ses bienfaits.