Soldat de l'armée d'Orient, le caporal télégraphiste Henri Chabos entretiendra durant la guerre de 14-18 une correspondance quasi quotidienne avec son amie institutrice. L'absence de saillance sociale du scripteur - commis des Postes saisi par la guerre - rend l'étude approfondie de ce cas particulièrement pertinente: ces données constituent en effet autant de traces micro-historiques éclairant les représentations d'une fraction sociale formée d'individus nés dans les dernières années du XIXe siècle, exerçant des professions d'employés d'administration ou d'enseignant du premier degré. Ce n'est toutefois pas au caporal Chabos que les auteurs s'intéressent au premier chef, mais à l'individu préexistant à la guerre, un jour contraint « d'y aller », rapidement las et soumis, et lui-même produit d'une longue histoire.
Dans une première partie, les auteurs reconstruisent la trajectoire d'une lignée d'individus (1780-1920), douaniers et enseignants, originaires du haut Doubs, qu'ils livrent dans une représentation dynamique, en interaction permanente avec un milieu marqué par un écotype singulier, celui de la frontière, fonctionnant comme un système de valeurs environnementales interdépendantes, qu'il s'agisse d'indices sociaux, économiques, culturels, historiques ou géographiques. La seconde partie est entièrement consacrée à la mise en perspective du courrier envoyé par Henri Chabos à sa fiancée, puis épouse - correspondance révélant des êtres de chair soumis aux mouvances du coeur, à l'incertitude accrue par la distance et à l'impuissance devant la séparation.