Il y avait la sentence convenue en vertu de laquelle l'atomisme de Démocrite résulterait d'un simple « monnayage de l'être éléatique ». Il y avait cette foule de monographies qui tendaient à « dématérialiser » l'atome démocritéen, à en faire tout ce qu'on voudra sauf un corpuscule. Jean Salem, prenant un parti contraire, s'est efforcé de présenter une interprétation matérialiste de cette pensée qu'il tient pour fondatrice du matérialisme philosophique. Bien loin de se réduire à un surgeon quelque peu baroque de l'éléatisme parménidien, la philosophie des atomes prolonge et amplifie les spéculations d'Empédocle et d'Anaxagore, voire celles des premiers physiologues ioniens. Elle a partie liée, en outre, avec la préhistoire et l'histoire de sciences. Aussi, malgré quelques divergences de doctrine, Épicure, et son disciple romain Lucrèce n'ont-ils fait que prolonger l'extraordinaire intuition de leur devancier Démocrite.
C'est en partant de tels principes que Jean Salem donne, dans les textes qui sont ici réunis, un commentaire de la Lettre dans laquelle Épicure résume son éthique ; qu'il décrit la lutte que Lucrèce a menée contre la religion populaire ; qu'il tente de déterminer ce que sont, du point de vue des épicuriens, les conditions du plaisir pur. L'auteur brosse ensuite une rapide esquisse de ce que pourrait être une histoire de l'atomisme philosophique : Démocrite, Épicure, Lucrèce, mais aussi les Mottécallemîn, Nicolas d'Autrecourt, Gassendi, Boyle, Cudworth, Newton, Diderot, etc. Il signale l'extrême intérêt du dogme
touchant l'atomicité du temps, dogme que soutinrent plusieurs atomistes - grecs, romains, latins ou arabes. Jean Salem approuve enfin, dans l'étude qui clôt le présent recueil, ce qu'affirmait déjà l'antiquisant... Karl Marx : l'étrange théorie épicurienne de la déclinaison atomique possède au moins ce grand mérite qu'elle tente de « sauver », au sein même du matérialisme le plus radical, le fait incontestable de la liberté.