En Allemagne, les Galgenlieder de Morgenstern (1871-1914) font l'objet de rééditions ininterrompues: les premières de ces Chansons du Gibet ont pris place dans le patrimoine poétique national au titre du traditionnel «humour de la potence» d'origine médiévale, très apparenté à celui de François Villon; à partir de 1917 à Zurich, les poètes de Dada se sont référés à leurs prémonitoires incursions dans l'absurde, avec le phonétique Grand Laloula éloquent bien que dénué de sens, ou la muette Sérénade du poisson; tous les enfants à l'école en apprennent encore certaines comptines inusables comme: Dors, l'enfant do - Dans le ciel y-a un agneau; récemment le grand acteur Gert Fröbe a enregistré les récitals qu'il leur consacre.
Avec le quatrième volume, c'est l'intégralité des quelque 320 poèmes constituant les Galgenlieder qui est proposée au lecteur francophone. Pourquoi ces Chansons du Gibet sont-elles restées près d'un siècle non traduites en français, alors que leur existence et leurs audaces linguistiques étaient bien connues, notamment d'un Raymond Queneau qui en avait commandé la traduction du premier volume, qu'à sa mort Henri Thomas fit réaliser? La décision de leur édition en bilingue en rend les raisons évidentes, la confrontation des deux textes ne cherchant pas à dissimuler les supercheries et trahisons qu'exige la restitution des acrobaties et facéties verbales de Morgenstern, sans lesquelles n'en ressortirait que la mise en prose littérale qui, selon l'adage, n'est qu'une mise au tombeau.